Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le film du dimanche soir

Le film du dimanche soir
Publicité
Archives
Newsletter
10 avril 2008

BLADE RUNNER de Ridley SCOTT - 1982 - Etats-Unis

Episode III : "I want more life, fucker!"


That's what it is to be a human being?



En 1992, j'ai quatorze ans, je connais Blade Runner par coeur et pourtant, je ne l'ai jamais vu...

Mais c'est un film-culte, un vrai, et un film-référence, un maître-étalon que les critiques et théoriciens que je dévore citent allègrement. Rongeant mon frein dans l'attente d'une hypothétique diffusion télé, je lis la nouvelle Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons Electriques de Philip K. Dick dont il s'inspire, Blade Runner étant au passage, de concert avec Total Recall (Verhoeven), Planète Hurlante (Duguay), Minority Report (Spielberg) et A Scanner Darkly (Linklater), une des meilleures adaptations du maître de la S.F. Et voilà que Ridley Scott et la Warner décident de sortir en salles le nouveau Director's Cut ( qui marque le dixième anniversaire du film et fait suite aux deux premières versions sorties initialement en 1982, l'une internationale, l'autre réservée aux Etats-Unis; Scott, mécontent de ce remontage, en élabore un autre, qu'il promet définitif, en 2007; ces quatre versions, passionnantes à comparer, sont réunies, avec en sus une copie de travail rarissime (et donc une cinquième version!) dans le coffret paru aux dernières fêtes, en prêt gratuit chez Clyde pour tout les veinards qui ajoutent au privilège d'être nos lecteurs, l'honneur de pouvoir se compter parmi nos amis dignes de confiance). Cette projection, dans une petite salle pourrave et quasi déserte de l'UGC Part-Dieu Niveau 4 sera un événement-clé dans ma construction de cinéphile, avec le premier visionnage de 2001 : L'Odyssée de l'Espace, puis le énième mais pour la première fois dans une vraie grande salle de cinéma (LA grande claque de ma vie, LA crampe esthétique ultime...), ou les expériences extrêmes que furent Pi et  Requiem for a Dream (Darren Aronofsky)( Bonnie se souvient bien de ce dernier, aussi, cuisinez-la...!), Sombre (Philippe Grandrieux), Seul Contre Tous (Gaspard Noé), Saló et L'Evangile Selon Saint Matthieu (Pasolini), Bullet Ballet (Tsukamoto), Arrête ou Ma Mère Va Tirer (avec Stallone) ou j'irai Verser du Nuoc Mam sur Tes Tripes (Chu Mu)...

Du coup, c'est pas évident de pondre un texte sur un film aussi important, pour les autres, beaucoup d'autres, et pour soi, surtout soi. Je suis le premier que je ne veux pas décevoir. C'est pourquoi, après de longues tergiversations que matérialisèrent (?) les dizaines de brouillon virtuels répandus sur le fond d'écran pixelisé de mon bureau électronique, je me suis résolu à aborder ce film par le seul angle dont je garantisse l'originalité : le mien, en partant de ce qui est, sinon la qualité numéro un du film, en tout cas la première à m'avoir touché, c'est-à-dire sa capacité d'immersion totale du spectateur, qui n'en demandait pas tant (si, en fait! C'est pire qu'une drogue!), dans son univers unique.

Pour moi, Blade Runner fait partie de ces films qui réussissent à s'affranchir des limites imposées par leurs supports de diffusion (le fantôme blafard de l'écran de cinéma, le pullulement épileptique de celui de la télé ), à transcender ce que l'on peut considérer comme l'une des limites du 7ème art : en tant que projection frontale d'images qui défilent, un film reste toujours consciemment, pour le spectateur, une représentation du réel et, conséquemment, une fiction.

Or Blade Runner réussit à s'extraire de sa prison pour venir déborder sur la réalité du public : feu d'artifice visuel d'une splendeur si pleine de subtilités que son esthétique en est devenue instantanément culte et indémodable, ses étincelles et autres flammèches s'éparpillent au gré du souffle lyrique qui parcourt le métrage, pour venir mourir aux pieds des spectateurs en boutant un incendie ravageur pour sa réalité. Néo-film noir aux accents existentiels et métaphysiques (qui ne sont pas sans évoquer l'un de mes chouchous nippons : Mamoru Oshii) de plus en plus appuyés au fur et à mesure que l'on plonge, pour l'explorer, dans cette labyrinthique et cauchemardesque mais fascinante mégalopole du futur, géniale métaphore de la psychologie (de l'âme?) complexe, contrastée et mystérieuse des différents protagonistes, (on respire et on reste concentré, je vous signale que la phrase n'est pas vraiment commencée, c'était que la pitite apposition introductive! Les Baroques auront toujours ma préférence sur les Classiques...), le chef-d'oeuvre de Ridley Scott est bien évidemment aussi l'une des pierres angulaires de la Science-Fiction cinématographique et du courant Cyber Punk.

Sa tonalité singulière, c'est le Graal de ce film : le calice où sont recueillies les gouttes d'âme que les personnages perdent par leurs blessures morales, psychologiques et physiques, et où se mélangent le masque cynique de Deckard, la naïveté romantique de Rachael, l'espoir, qu'anéantit l'angoisse, de Roy, Pris ou Léon et même Sebastian... Le cocktail, puissant, est en parfaite adéquation avec les grandes orientations de la photographie, le rythme narratif ainsi que l'architecture scénaristique et achève de faire du film une plongée en apnée dans les tréfonds d'une ville, dans les tréfonds d'une société, dans les tréfonds de l'Homme, recoins inconfortables et sombres, mais d'où jaillit, toujours, in extremis, la lumière, l'humanité. L'extraordinaire scène de la mort de Roy, le personnage qui offrit à Rutger Hauer l'une de ses interprétations les plus bouleversantes, et surtout son monologue dit de « Tears in the rain », semble nous dire que l'on n'est humain que lorsque on se comporte en tant que tel; partant, certains hommes n'ont rien d'humain, et « être humain » est accessible au-delà de l'humanité. En tout état de cause, être humain, c'est un travail.

Blade_Runner

 

Publicité
Publicité
23 mars 2008

THE MIST de Frank DARABONT - 2007 - Etats-Unis

 

 

Ça y est, je reviens du magasin où je viens d'acheter mon Avudenez-o-mètre© à approximation compensée, et après un premier essai d'une fulgurance qui ne va pas sans m'émouvoir profondément car c'est beau la technologie, je peux vous dire, comme ça, sans y accorder un crédit démesuré étant donnée l'incertitude fondamentale à laquelle l'être humain est confronté depuis qu'il arpente, comme frappé de cécité, les serpentins et sinueux sentiers de sa destinée sur Terre, je peux dire, disais-je avant de m'interrompre moi-même de nouveau avec un sourire narquois que je ne me connaissais pas et qui me fait dire que je suis victime de l'invasion d'une double personnalité dont le but avoué est de rendre la lecture de ce blog totalement héroïque pour quiconque cherche un sens en ces lignes, je peux dire, avec une pointe d'émotion dans la voix que je tenterai modestement de traduire par l'élection d'une prose empreinte d'un lyrisme dont l'inévitable exacerbation sémantique sera habilement compensée par sa dilution en une syntaxe aussi élastique dans sa géométrie que liquide dans son déploiement, je peux dire, au risque calculé de bouleverser irrévocablement le monde du 7ème art, que Stephen King est l'un des écrivains les plus adaptés au cinéma.

Si.

Au pif, comme ça, au débotté, à la volée, moi j'vous l'dis comme je l'pense, mais le Stephen, c'est un des plus adaptés. Au cinoche. Et puis ça m'arrange, en plus, parce que j'arrive pas à trouver une autre intro qui « déchire sa race »©® pour cet article.

Mais quand même c'est un peu vrai, vu que des pointures comme Kubrick, Cronenberg, Reiner, De Palma, Singer, Romero, Hooper s'y sont frottées, en plus de quelques artisans plus ou moins inspirés dont le gars Garris, Mick de son prénom, téléaste fidèle au King (pas à Elvis, hein...) et à l'origine de l'inégale mais passionnante série des Masters of Horror parmi lesquels je ne saurais trop vous conseiller le génial Homecoming du désespérément sous-estimé Joe Dante. Toute digression mise à part, il convient de rajouter à la liste des pointures susmentionnées le nom de Frank Darabont, fort respectable scénariste et réalisateur discret, qui en est à sa troisième rencontre avec la prose du maître du Maine, après La Ligne Verte et Les Evadés.

On le voit, Darabont était jusque là plus attiré par le versant « chroniqueur de l' intime » de l'écrivain que par son statut de maître de l'horreur. The Mist est donc l'occasion d'un virage dans la carrière du bonhomme, puisqu'il livre un film assez flippogène, voire par instant carrément trouillatoire, qui se jette à corps perdu dans l'arène du cinéma fantastique (s'entend dans une définition large du terme, oeuf corse©), et traite frontalement son argument surnaturel (tiens, allez, pour une fois, je fais mon altruiste et je vous fais un résumé (un pitch comme disent les professionnels de la profession®) (tiens, c'est le retour des parenthèses, une sorte de 12ème plaie d'Egypte (la 11ème étant la télé) d'autant plus redoutable que les parenthèses en hiéroglyphes demandaient des scribes particulièrement adroits, lis-je sur le blog de Sinoué L'égyptien (Khéops-la-boum.canalblog.fr ) ) : un jour, dans une petite ville des Stazunis, un brouillard chelou se pointe et on comprend à un moment que dedans, y'a des bêtes. Des stremons, quoi. Et du coup, un groupe de gens enfermés dans un supermarché tente de survivre, comprendre avant de s'entre-déchirer).

Et c'est là que Darabont fait la différence. Car sa pelloche a tout du bon B-movie du samedi soir (pour changer, à chaque jour suffit son film...), respectueux du genre et du public, généreux et efficace dans ses scènes-chocs, irréprochable techniquement, que ce soit au niveau de l'image ou à celui de la narration; mais en plus il se double d'une réflexion sur la foi et le fanatisme religieux (que Darabont prend un soin admirable à distinguer clairement l'une de l'autre ) tout bonnement stupéfiante par l'intelligence avec laquelle elle se coltine la complexité tentaculaire du sujet, et par l'évidence des solutions cinématographiques qu'elle invente pour dompter ce foisonnement de sous-thèmes.

Pur film d'horreur à l'ancienne, sérieux et rigoureux comme The Thing de Carpenter que Darabont cite en ouverture, comme pour se mettre sous son patronage et revendiquer son appartenance à un cinéma d'horreur adulte dont les visions cauchemardesques et terrifiantes ne sont rien en regard du malaise métaphysique et de l'angoisse existentielle qu'il peut déclencher chez le spectateur (respirez...), The Mist est une réussite majeure qui, non contente de réussi l'exploit d'être fidèle au texte (non pas que ce soit un gage de qualité, et il faudra bien un jour que l'on comprenne une bonne fois pour toutes que le cinéma et la littérature sont deux modes d'expression artistique différents qui ne peuvent que donner des oeuvres foncièrement différentes, aux qualités et défauts différents, aux tons différents, mais je m'égare, et pas seulement de Lyon©), se permet même de lui apporter une fin inédite et originale aussi cruelle que nihiliste, dont la radicalité renvoie directement à l'éprouvant La Secte Sans Nom de Jaume Balagueró (dont j'attends [REC], qu'il a co-réalisé avec son compatriote Paco Plaza, avec une impatience que j'aurais bien du mal à dissimuler tant le film bénéficie d'un bouche-à-oreille hautement stimulant pour mes papilles, et d'une bande annonce à faire saliver l'amateur de sensations cinématographiques. Mais je m'égare, et pas seulement de Montparnasse, derechef (de gare...Ou alors c'est trop, comme calembour pourri? Bon allez, je le laisse quand même, je sais que y'en a que ça réjouit secrètement...Aaaaah! Lionel! sors de mon corps, démon!) ce qui n'est pas grave, si on considère que, finalement, je crois avoir fait le tour de ce que j'avais à dire, et qu'il semblerait que l'on s'approche gaillardement de la fin de cette allocution que seul(e)s les plus vaillant(e)s d'entre vous verrons poindre, tel le marin épuisé par la tempête le phare d'Alexandrie dont les sirènes du port ont un fâcheux penchant pour la variété-disco française, à l'issue, encore indiscernable pour l'instant, de cette forêt de mots aussi enchevêtrés que mes métaphores, où les essences les plus subtiles du pur style classique sont étouffées par le lierre vulgaire d'une modernité anarchique du langage que renforcent les errances syntaxiques discutables de l'auteur l'Auteur et son goût irritant pour le jeu et la digression.

23 mars 2008

LA NUIT NOUS APPARTIENT de James GRAY - 2007 - Etats-Unis

Depuis le début de sa carrière dans le long métrage avec Little Odessa en 1994, James Gray ne cesse de creuser opiniâtrement le sillon du polar noir où les éruptions de violence physique, sèche, âpre et brutale, viennent suturer les scènes d'affrontements psychologiques, comme la ponctuation rare mais solennelle d'une élégie. Des films définitivement sombres et graves, lyriques sans pathétisme outrancier et artificiellement larmoyant, de véritables tragédies cinématographiques qui envisagent les dysfonctionnements de la cellule familiale (le grand thème de Gray, les fondations sur lesquelles se bâtit son oeuvre) comme autant de métaphores de problématiques plus universelles.

En seulement trois films, Gray s'est déjà forgé une réputation de maître du genre qui impressionne, surtout quand on sait qu'il a à peine 40 ans, et qui explique les castings hallucinants qu'il réussit à réunir (Tim Roth, James Caan, Robert Duvall, Mark Wahlberg, Charlize Theron, Faye Dunaway, Vanessa Redgrave, Joaquin Phoenix,...).

Son dernier effort, We Own The Night, tire son titre d'une inscription présente sur le badge d'une unité d'élite de la police de New-York et surprend par la capacité de Gray à ne jamais se répéter alors même que ses films sont thématiquement, formellement et narrativement très proches les uns des autres. Mais le cinéaste a compris que le secret de la réussite se situe dans un cinéma « à hauteur d'homme » : ce n'est pas tant ce qui arrive qui importe, mais à qui, et comment il y fait face. En collant au plus près de ses personnages, en traquant leurs émotions particulières, leurs réactions singulières d'un objectif impitoyable mais jamais moralisateur, il peut se permettre de réinvestir des thèmes qui lui sont familiers ( la culpabilité par exemple) sans risque de tourner en rond, en enrichissant même de mille nuances ses réflexions. La direction d'acteurs est donc sans aucun doute le point fort de Gray, il sait obtenir d'eux des moments d'une intensité dont l'impact, qui se lit sur leur visage au-delà du masque de l'acteur, laisse peu de doute sur leur implication totale et la richesse de leurs performances. D'autant qu'il sait aussi se servir d'une caméra et magnifier les interprétations par une photographie de plus en plus somptueusement monochromatique, qui achève de le rapprocher d'un Clint Eastwood.

Mais Gray paie aussi son tribut aux incontournables Coppola et Scorsese (la scène d'introduction du personnage de Joaquin Phoenix est scorsesienne en diable, tout comme Phoenix lui-même, dont la ressemblance avec le Ray Liotta des Affranchis est frappante; les racines des scènes entre les deux frères sont quant à elles à chercher du côté du Parrain) sans pour autant s'embourber dans la déférence ou rester paralysé par le poids de cet héritage. Car il possède une vision singulière, faite d'obsessions lancinantes et de zones d'ombres rampantes, qui confère à ses films une identité unique, une saveur spécifique qui les rend aussi immédiatement identifiables que ceux d'Abel Ferrara. Bref, plus qu'un habile artisan, James Gray est un auteur à part entière...

10 mars 2008

MINUIT DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL de Clint EASTWOOD – 1998 – Etats-Unis

EPISODE II: « Go ahead scumbag, make my day. »

 

On dirait le sud...

 

 

L'immense (et pas que par la taille...) Clint Eastwood fait partie, avec John Carpenter et quelques rares mavericks survivants, d'une race en voie d'extinction à Hollywood : celle des grands réalisateurs classiques, c'est-à-dire (pour faire vite et ne pas rentrer dans des détails que nous envisagerons dans un autre article) des cinéastes qui doivent plus à Howard Hawks qu'à Orson Welles (sans bien évidemment remettre en cause le génie incontestable de ce dernier), des cinéastes chez qui la Nouvelle Vague, le cinéma européen dans son ensemble et les bouleversements que le cinéma américain a connus dans les années 70, n'ont eu que très peu d'influence du point de vue esthétique et narratif.  Bref, des héritiers de l'âge d'or d'Hollywood.

 

Pour autant, le cinéma d'Eastwood n'est pas une interminable plainte nostalgique qui raisonnerait vainement au fond d'une impasse où viennent mourir les derniers réfractaires du zoom intempestif et de la caméra à l'épaule, ni la tribune d'un réactionnaire de la pellicule. Dans le fossé qui sépare le style du réalisateur d'Impitoyable de celui, post-moderne en diable, d'un Fincher par exemple, nulle place pour une quelconque hiérarchie de valeurs : simplement des goûts, des influences, des choix et des points de vue différents, pas forcément opposés d'ailleurs, juste décalés.

 

Et de décalage, il en est justement question lorsque pour son vingtième long métrage en tant que réalisateur, Clint Eastwood décide de s'attaquer à l'adaptation d'un best-seller tiré d'un fait divers qui défraya la chronique au début des années 80 dans le sud des Etats-Unis. Car la petite communauté de la ville de Savannah, Georgie, est sans doute l'une des plus bizarres, étranges et fascinantes que le cinéma nous ait décrite. Et cette description, parfois frontale, parfois impressionniste, est bien le coeur du film. Dès le premier et sublime plan du film, une évidence s'impose au spectateur : Eastwood a d'autres objectifs que le simple récit de l'un des plus longs et des plus complexes procès de l'histoire du pays. Avec son scénariste John Lee Hancock, il va brillamment synthétiser  quelques huit années de procédures, sans en masquer les nombreux enjeux moraux et éthiques, afin de garder suffisamment de marge de manoeuvre pour pouvoir se livrer avec un humour discret mais omniprésent à l'observation, dénuée de toute évaluation morale, d'un panel de personnalités hautes en couleurs.

 

S'effaçant derrière une caméra aérienne et sereine, Eastwood dirige un casting impeccable qui réussit à traduire toutes les subtilités et les contradictions de la psyché humaine en quelques regards (Kevin Spacey, aussi à l'aise dans le détachement pince sans rire que dans les nuances de la colère et la souffrance) et joutes verbales (la géniale scène de drague par fleurs interposées entre Allison Eastwood et Cusack). La galerie de portraits – l'homme qui promène un chien invisible, celui qui tient des mouches en laisse (!!!) et menace d'empoisonner l'eau de la ville, la prêtresse vaudou, Lady Chablis (interprétée par elle-même) la transsexuelle excentrique et iconoclaste, ...  permet à Eastwood d'offrir au spectateur un séjour dans une humanité aussi singulière (doucement et agréablement folle) que digne d'attention et de respect. Eastwood ne juge aucun de ses personnages et laisse à John Kelso (John Cusack), dépositaire du point de vue narratif,  le soin d'amorcer les réflexions que le final ne manquera pas de soulever. La ville elle-même devient un personnage à part entière, avec son élégante architecture typique du sud des Etats-Unis, ses parcs chaleureux, ses intérieurs riches mais délicats, et son cimetière où se joue l'équilibre entre le bien et le mal et l'avenir de la communauté.

 

Par la grâce d'une mise en scène toujours aussi rigoureuse (ce qui ne veut pas dire compassée) et élégante, tout en travellings délicats et cadrages picturaux où la sublime et douce photographie de Jack Green (chef op' attitré d'Eastwood depuis Bird) vient effleurer les lieux et les personnages pour mieux marquer plastiquement leur complexité faite d'ombre et de lumière, le grand Clint transcende ce qui n'aurait pu être qu'une simple chronique en une plongée, à la lisière du fantastique, dans l'âme humaine où s'entrecroisent, s'entrechoquent, s'entre-déchirent les sentiments et les émotions les plus puissants. Ouvrant et fermant le film sur un plan de la célèbre Bird Girl Statue, Eastwood le place sous le signe de l'équilibre entre les extrêmes que l'Homme ne semble pas capable d'imposer, de s'imposer, au contraire de l'Art, et singulièrement celui de la mise en scène.

 

La classe.

minuit_dans_le_jardin_du_bien_et_du_mal_copie

4 mars 2008

ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES de Franck CAPRA - 1944 - Etats-Unis



La critique a toujours été injuste envers Franck Capra, faisant de lui au mieux un naïf béat chantant les bienfaits de l'American Way Of Life, au pire un propagandiste sans finesse du capitalisme libéral et de son cortège d'illusions. Mais qu'il aie foi en l'espoir de la réussite sociale de chacun, y compris et surtout les plus « faibles », qu'il se fasse parfois le défenseur d'un optimisme que le réel se fait fort de rendre aveugle, ne l'empêche pas d'être lucide et de mettre discrètement en évidence l'envers sordide du rêve américain. Loin de l'angélisme qu'on lui a souvent prêté, Capra s'est souvent appliqué à introduire dans ses fictions des éléments plus ou moins évidents qui constituaient le grain de sable d'une mécanique sociale bien huilée, le truc qui cloche et qui rend l'ambiance générale, jusque-là souriante, un brin ambiguë, voire carrément cynique ( le mot est un peu fort peut-être...).

Arsenic et Vieilles Dentelles est le parfait exemple de cette volonté (qui ne date bien évidemment pas d'hier et que Capra n'a pas inventée) de bousculer les habitudes du public en matière de comédies pour l'emmener vers un rire plus grave, plus profond aussi parce qu'il ne s'arrête pas à la surface du seul humour burlesque à visée divertissante. Ce qui ne signifie pas que ce dernier n'ait pas le droit de citer chez Capra, bien au contraire, et le jeu parfois outré de Grant (voir ses grimaces, et même quelques inattendus regards-caméra) va tout à fait dans cette direction; mais le cinéaste a su apprendre d'un Chaplin par exemple, et intégrer à son métrage toutes les formes du comique, jusqu'à l'humour noir. Ainsi, la découverte des pulsions de mort des deux et adorables vieilles dames est tout autant un grand moment de comédie qu'une réflexion assez subversive (surtout pour l'époque) sur la violence inhérente à la société américaine, violence sur laquelle elle s'est bâtie et qui assure sa pérennité.

A ce titre, notons l'excellente scène où apparaissent le frère du héros (au visage ravagé comparé à celui de Boris Karloff quand il interprétait son rôle fétiche : la créature de Frankenstein) et son complice, un chirurgien esthétique interprété par l'immense (par le talent) Peter Lorre, alias M le Maudit. En quelques secondes, le plateau passe d'un intérieur bourgeois et accueillant à une pièce qui cite directement les grands classiques de l'horreur made in Universal, le tout par le seul biais de la lumière (aucun changement de décor). Subtilement, le film laisse éclore une menace sourde dont la virulence sera bientôt battue en brèche par le retour de la comédie pure. Mais pendant quelques minutes, Capra nous montre la société américaine sous son vrai jour : ne cessant de refouler la violence qui lui est consubstantielle, elle prépare inconsciemment le nouveau jaillissement de celle-ci, plus destructrice encore après avoir été bâillonnée, et plus universelle.

Cette séquence est par ailleurs remarquable du fait que l'ingéniosité de sa mise en scène a réussi à contourner les limites de son dispositif (rappelons que le film, adapté d'une pièce à succès, reprend l'unité de lieu et de temps) en proposant une solution uniquement visuelle : à l'impossibilité de changer de lieu ou de jouer avec la temporalité qu'il s'est lui-même fixée, Capra répond par l'usage d'outils spécifiquement cinématographiques (lumières, cadrages, citations référentielles,...) et prouve une fois de plus que de la contrainte naissent la créativité et l'art...

Bien qu'Arsenic et Vieilles Dentelles soit une comédie moins noire, moins grinçante et subversive que ses homologues britanniques produites par les studios Ealing (Noblesse Oblige, Tueurs de Dames, pour ne citer que les deux plus connues...), le parfum d'immoralité qu'elle laisse planer à la fin, l'inventivité de la mise en scène pour sortir des pièges du théâtre filmé et son rythme digne des comédies de Howard Hawks font de ce métrage une référence dont on chercherait vainement les traces parmi la plupart (pas toutes heureusement, il reste des Michel Gondry, des Wes Anderson, des Alex De La Iglesia...) des comédies contemporaines qui s'enlisent dans la confusion entre cinéma populaire et cinéma populiste.

Publicité
Publicité
29 février 2008

SPECTATOR'S CUT

 

 

Lorsque l'on consulte les inestimables compilations d'entretiens de cinéastes que les Presses Universitaires du Mississippi publient régulièrement (mais en anglais seulement), ou que l'on replonge nuitamment dans les archives que l'on a soi-même patiemment compilées, on remarque que nombreux sont les réalisateurs qui s'engagent dans un projet avec comme moteur de leur désir une scène, une seule, qui excite leur faculté créatrice. Comme un défi personnel dont la réussite conditionnera celle du métrage dans son ensemble tant cette scène semble receler la synthèse parfaite du film et de ses enjeux narratifs, esthétiques et intellectuels.

Quant au public, une simple auto-analyse montrera sans ambiguïté à quel point il aime lui aussi extraire des scènes-clés (pas forcément les mêmes que celles de l'auteur, d'ailleurs) pour en faire de très fonctionnelles métonymies qui finissent par former une mosaïque « d'instants magiques » à la base de toute cinéphilie.

Et l'une des richesses de la cinéphilie est qu'elle est une activité aussi bien solitaire que collective. Si les cinéphiles sont des rats de cinémathèques, des arpenteurs de salles de cinoches, des troglodytes home-cinéphagiques, cela ne les empêche pas d'apprécier la compagnie de leurs semblables, notamment pour enfin pouvoir ré-injecter dans leur passion cette dose de ludisme que seuls les amis peuvent vraiment garantir. Entre autres techniques de jeu, celle dite du « montage en cadavres exquis » possède le double avantage d'être à la fois simple et riche en (re)découvertes. Croyez-moi sur parole!

Prenez une télé, un lecteur de DVD ou un PC, quelques amis, une bonne dévédéthèque, alcool et cigarettes en option, et c'est parti pour le patchwork du siècle, le collage ultime... Chacun sélectionne une scène précise d'un film, la passe aux autres avec un petit commentaire, une justification du choix : au bout de dix minutes, les idées de génies fusent tellement que l'indéfectibilité des liens d'amitié qui vous lient à vos invités est mise à rude épreuve et que la bienséance cède le pas devant les grognements de bêtes féroces de deux cinéphiles surexcités s'affrontant avec verve sur l'opportunité de visionner le fameuse séquence de l'écharde dans l'oeil de L'Enfer des Zombies de Fulci avant celle de la crucifixion du Christ dans L'Evangile selon Saint Matthieu de Pasolini.

C'est à ce jeu que je vous propose de participer : quelles sont vos scènes favorites? Pourquoi? Sans compter celles que l'on a honte d'avouer... Ouvrez votre coeur à Bonnie et Clyde, par écrit ou en dessins ( à envoyer par mails pour ces derniers)...

Et histoire de donner l'exemple, je me plie d'ors et déjà à l'exercice...

 

... Et me revient en mémoire une scène que j'avais justement mise en exergue la dernière fois que j'ai joué à ce jeu en vrai : il y a un instant absolument sublime dans Stalker d'Andreï Tarkovski, un moment d'une beauté mystique, une stase poétique pendant laquelle l'auteur offre au spectateur un morceau de temps pur, une durée qui lui permet de faire le point sur ce qu'il ressent, ce qu'il pense tout en projetant ses affects et concepts sur l'écran ( un long plan fixe où les personnages assis dans une grotte observent les gouttes d'une averse éclairée par le soleil entrer dans la grotte via une large ouverture qui les surplombe et mourir dans une flaque) pour finir par faire de ces minutes une bouleversante et abyssale introspection aussi bien pour les personnages que pour le spectateur.

En ce qui me concerne moi-même personnellement de mon point de vue, cette scène est l'une des plus littéralement transcendantes que j'ai vues, un appel à la méditation d'une beauté absolument émouvante (surtout quand l'on sait qu'elle est en grande partie le fruit du hasard), toujours aussi magique après tant de visionnages...

26 février 2008

JOHN RAMBO de Sylvester STALLONE – 2007 – Etats-Unis

 


Icône de années 80 et du reaganisme triomphant, John Rambo aura collé à la peau de Stallone autant que Rocky Balboa, son autre création-phare. Tout comme «l'étalon italien», Rambo a eu un tel impact qu'il s'est vite retourné contre son interprète, le coinçant dans un registre fort limité et brouillant la frontière entre personnage et acteur, dans un fâcheux remake de la relation Clint Eastwood/Inspecteur Harry. Et comme il avait clos avec émotion et réflexivité la geste de son boxeur symbole de l'American Dream et du cauchemar qui s'ensuit, Stallone se propose d'achever la saga de notre Viet-vet préféré sur un accord sombre et définitif.

Nerveux et sans compromis, le film est à l'image de son scénario : simple mais efficace. Cadré avec un sens de l'équilibre sans faille entre iconisation et efficience de la narration, le métrage ne souffre que d'une gestion brouillonne de l'espace, prouvant que Stallone n'est tout de même pas McTiernan. 1H20 sans le générique de fin, autant dire que y'a pas de gras. Pourtant le film tache sévère, du sang, des tripes et de la boue. Les scènes de guerre sont parmi les plus hallucinantes jamais filmées et hissent l'armée birmane au rang des pires ordures du cinéma (malheureusement, ça n'en est pas que, du cinéma...). Stallone a su profiter des recherches de Spielberg et Gibson, entre autres, et court-circuite d'emblée (la séquence d'intro composée d'images d'archives) l'ambiguïté inhérente à tout film de guerre (qui plus est estampillé « Rambo »). Sa vision de la guerre est ultra-réaliste jusqu'à l'insupportable. Le message est clair, identique à celui de Spielberg dans son terrassant Munich et énoncé aussi limpidement, et c'est pour ça que Stallone sera lui aussi traité de naïf simpliste : la violence engendre la violence et les idées les plus nobles ne protègent pas du réel.

A cet égard, Stallone revient à la source du personnage : fini le porte-étendard d'un bellicisme anti-communiste, revoici la machine à tuer, le guerrier impitoyable mais profondément traumatisé, hanté par l'atroce vérité qui gît au plus profond de lui, le torturant, le rongeant, et qui explosera dans cet aveu couronnant un formidable montage des scènes traumatiques des précédents épisodes : « je n'ai jamais tué pour mon pays, j'ai toujours tué pour moi... ».

Le dernier plan, aussi discret dans son lyrisme que bouleversant dans son évidence, est l'un des plus beaux adieux cinématographiques que le cinéma de genre US nous ait donné. L'un des plus inattendus, aussi (remember Rambo III...). Donc l'un des plus admirables...

24 février 2008

BLACK SHEEP de Jonathan KING - 2006 - Nouvelle-Zélande


EPISODE I : « Ça a débuté comme ça. »

 


MOUTONI ARRABBIATI
(¹)

 

Un commencement est une chose d'une infinie fragilité parce que d'une profonde délicatesse, d'une insondable subtilité. C'est un moment que l'on prépare et que l'on chérit par dessus tout : sa valeur programmatique en fait une carte de visite dont l'efficacité – potentiellement envahissante – n'est contrebalancée que par son caractère paradoxalement éphémère.

 

Pour nos débuts, il était donc évidemment impératif pour nous d'ouvrir ce blog sur un film dont l'abyssale profondeur de la pensée qu'il déploie conjuguée à son incroyable maîtrise artistique et technique, en faisait le parfait et flamboyant étendard du cinéma que nous aimons et que nous nous proposons de défendre. Il fallait aussi impressionner l'internaute par le choix de se coltiner une oeuvre à haute teneur en cinéphilie, et digne de supporter une énième exégèse dont nous nous ferions forts d'éviter qu'elle s'empêtre dans la référence, la déférence et une quête donquichottesque de la synthèse définitive.

 

C'est pourquoi, tandis que Bonnie mettait la touche finale à une monumentale fresque – dont vous vous ferez une idée approximative en multipliant mentalement le plafond de la chapelle Sixtine par Guernica – qui synthétisait brillamment une définition enfin exhaustive du cinéma avec une représentation panoptique de son histoire, je m'affairais benoîtement à parachever les 476 pages de réflexions que m'avait inspiré l'usage récurrent du travelling arrière dans l'oeuvre de Stanley Kubrick. Bref, Bonnie & Clyde allaient frapper un grand coup. La Livebox elle-même semblait onduler sous les vagues déferlantes de l'irrépressible désir de transmettre le fruit rare et juteux de nos réflexions au monde qui ne serait plus jamais le même.

 

Et puis, paf! L'accident bête, en somme. Tu ne sais sûrement pas ce que c'est, mais quand on plane comme ça dans les hauteurs de la pensée humaine, on finit par s'habituer à admirer l'horizon quand les autres ont le nez dans les aisselles de leurs semblables. On en vient sans malice à oublier que des petits s'agitent en bas. Peu à peu, on fait moins gaffe avant de mater une pelloche. Là où auparavant l'on dégustait avec délices les oeuvres de Bergman et Antonioni, on se surprend à baffrer de pleins DVD de Corman ou Fulci. Et un beau soir, on se retrouve devant La Nuit des Côtes d'Agneau Vivantes! Massacre au gigot-haricots! Le Ragoût de l'Angoisse!

 

Et on demanderait bien du rab...

Bien sûr, Black Sheep est un chef d'oeuvre d'observation et d'analyse de l'incommunicabilité ontologique entre l'homme et le mouton, une subtile étude de l'impact écologique de l'être humain sur la biosphère avec de vrais morceaux de gore dedans, une puissante réflexion sur le devenir-marchandise de l'humanité et le renversement de la chaîne alimentaire où l'homme devient un mouton pour l'homme; mais si c'est sans doute le meilleur film du monde, c'est surtout parce que c'est le seul film de mouton-garou du monde! Eh bah oui!

Dans la longue liste des agressions animales que l'homme a subies (après en avoir été souvent la cause) au cinéma (chiens, chats, oiseaux, loups, ours, dinosaures, fauves, abeilles, requins, serpents pour les plus évidentes, mais on trouve aussi des limaces, des crabes, des mouches et jusqu'à une moussaka géante et un yaourt de l'espace (si, si!)) (vous me dites, hein, si y'a trop de parenthèses...), le mouton était inédit jusqu'à ce qu'une bande de néo-zélandais se décide enfin à révéler au monde toute la fourberie et la machiavéléité (« J'ai un dictionnaire tout à part moi » disait Montaigne...) ( non, sans déconner, n'hésitez pas, pour les parenthèses, je sais que ça peut être chiant de s'interrompre tout le temps comme ça, surtout quand le gars a une syntaxe super complexe avec des phrases qui n'en finissent plus, ce qui n'est heureusement pas mon cas mais bon...) qui se tapit sous l'immaculée mousseline de ces bêlantes bestioles. Merci les Kiwis!

Seul un Néo-Zélandais élevé aux déjanteries pré-tolkiennesques de son compatriote et inévitable point de comparaison, Peter Jackson, pouvait s'emparer d'un tel sujet! Encore que nos moutons n'aient rien à voir avec le singe-rat de Brain Dead ou les muppets ultra-transgressifs de Meet The Feebles. Manifestement nanti d'un budget un peu plus confortable que son aîné, disons l'équivalent du budget-moumoutes du dernier Nicolas Cage, King peut se permettre de soigner la forme (joli cinémascope et quelques effets de lumières bienvenus pour un bel hommage à Hurlements...) et si les effets spéciaux pourront paraître cheap aux yeux de ceux qui ont été élevés aux CGI, ils possèdent pourtant le charme suranné de l'artisanat et du système D. Sans compter que le cinéaste réussit à maintenir un véritable équilibre parodique en jonglant habilement avec un humour plutôt primesautier et des scènes plus proches de la tradition du genre. Le délire de départ, c'est-à-dire La Nuit Des Morts Vivants avec des moutons à la place des zombies, est poussé jusqu'au bout et le film remplit parfaitement son objectif : divertir On est encore loin de l'hallucinante et éclatante réussite de Shaun of The Dead, mais Black Sheep a su mettre en avant les mêmes qualités : une générosité absolue dans l'écriture et la mise en scène mais aussi et surtout un amour et un respect pour le genre, pour le cinéma tout entier qui font immédiatement de Jonathan King un ami de la famille. Un de ceux qui vivent pour le cinéma avant d'en vivre...

(¹) : non, ce n'est pas une spécialité italienne mais une subtile référence que les plus avertis d'entre vous auront percée à jour avec le sourire entendu de ceux à qui on la fait pas...
Pour les autres, direction IMDB...



black_sheep_copie


20 février 2008

Plates excuses

Ce site est né il y a quelques jours et nous avons un mal fou à trouver le temps d'écrire, dessiner et publier ici notre premier article.
Mais on y est presque.

Vous aurez donc un truc à vous mettre sous la dent et les mirettes d'ici la fin de la semaine.

A bientôt!

17 février 2008

LETTRE OUVERTE


A TOI

Mademoiselle la brise-gonade (oui, j'aime ces translations qui nous éloignent heureusement de la vulgate populacière...) chichiteuse tapie aux confins du web,

 


A TOI

Monsieur le ronchon pinailleur hantant suspicieusement blogs et forums d'un clavier chafouin et venimeux,


ce blog n'est pas pour TOI.

 

On te connaît. TU as des aïeuls qui remontent jusqu'à la nuit des temps mais c'est avec l'émergence d'Internet et sa rencontre avec la sphère de l'art, et singulièrement le CINEMA, que TU as pris ton essor.

Car dorénavant, non seulement la Toile offre-t-elle une quantité indigeste et variablement fiable d'informations sur les films qui se feront, peut-être, qui se font, sont faits, etc., mais encore elle autorise l'éclosion de nuées de «critiques improvisés». Chacun peut donner son avis. Et c'est bien. Car cette Babel cinéphile, quoique délicieusement anarchique et qualitativement inégale, recèle toujours une chose importante et précieuse car unique: un avis, c'est-à-dire un point de vue, une opinion née d'un affect et/ou d'une réflexion.

Mais TOI, tu es de la race des intégristes de l'opinion. De ceux qui ne supportent pas que l'on soit en désaccord avec eux. Des individus qui détestent que l'on aime ce qu'ils haïssent autant qu'ils aiment adorer ce que l'on déteste... Et réciproquement, et ce « littéralement et dans tous les sens » (Mallarmé. Eeeeeeeeh oui! Ah ça la ramène moins là, hein!)


Et là, c'est le drame.


Car nous ne sommes là pour convaincre ou persuader personne. Notre projet se situe dans l'humble continuation des précieuses chroniques « Un Strapontin pour Deux » de Boujut et Tardi. Il s'agit de réinvestir l'expérimentation d'une critique croisée d'un film par l'intermédiaire de deux autres media (le dessin pour Miss Bonnie et l'écrit pour votre serviteur Clyde) envisagés comme un couple complémentaire jusque dans leurs irréductibles incompatibilités. Et notre but, le seul, est de donner notre opinion. Parce qu'on en a envie. Parce qu'on a envie de provoquer des envies chez nos lecteurs ( y compris des envies de ne pas voir le film). Et puis parce que, et nous ne le nierons pas, nous avons suffisamment de front pour prétendre que ce que nous dessinons et écrivons mérite d'être regardé et lu, voire applaudi et porté aux nues, ou un truc du genre, mais dans les limites du raisonnable car il ne faudrait pas, n'est-ce pas, que notre modestie légendaire en souffre.

Mais nous n'avons pas la prétention d'oser avancer, même timidement, les prémices d'une hypothétique possibilité de début de probable embryon de germe de vérité sur un film. Ou alors ce sera NOTRE vérité.


La seule fierté dont nous nous targuerons une bonne fois pour toutes, et pas pour faire les malins (car « Qui fait le malin tombe dans le ravin » - Proverbe jurassien.), encore qu'il ne soit pas désagréable à l'occasion de se laisser aller à l'extatique exultation de confronter le monde béat à notre génie, mais parce que c'est en référence à cela que nous jugerons les films, cette fierté ( ben oui, quoi, soyez concentrés et  relisez le début de la phrase si vous êtes paumés, pourtant je la trouve pas si complexe que ça, enfin bon, je cause, je cause, et la parenthèse n'en finit pas de se fermer) disais-je, c'est notre cinéphilie, que nous oserons qualifier de vaste, curieuse et éclectique – tout comme les films que nous présenterons ici - et éclairée par la lecture compulsive de nombreux ouvrages théoriques, historiques et techniques.


Et TOI, tu voudrais faire fi de tout ça et venir polluer ce blog de tes commentaires assassins, de tes diatribes minables, de tes indignations hypocrites, de tes provocations stériles?


Non, ce blog n'est pas fait pour TOI.


Pas qu'on refuse le dialogue, tout au contraire. On souhaite créer un lieu d'échanges, de réactions (que ce soit sur les films ou sur les dessins et les textes), d'interactions. Mais les vains et monotones débats sur qui a raison d'aimer ou de ne pas aimer tel film n'auront aucun droit de citer ici. Discutons, argumentons, prenons-nous la tête même, mais dans le respect nos goûts respectifs.

Notre théorie est la suivante: quand nous jugerons – et c'est bien le mot- un film, nous dirons s'il nous a touchés ou pas, au coeur et/ou au cerveau, et pourquoi. C'est tout. Qu'un film ne nous plaise pas ne veut surtout pas dire que nous ne lui reconnaissons aucune qualité; même si nous nous réservons le droit de ne pas évoquer ces dernières.

En effet, nous revendiquons haut et fort, avec la valeureuse fougue de l'Amazone qui aurait des origines Walkyries pour Bonnie, et avec la furieuse vigueur du samouraï armé d'un sabre-laser pour moi, notre droit à arroser le rôti de nos élucubrations du délicieux jus de la mauvaise foi aussi souvent que nous le saupoudrerons d'un subtil mélange d'ironie, de bonnes et mauvaises humeurs et de délires plus ou moins viables et private-jokesques. Faites cuire à feu doux. Servez avec un grand bol d'humour.


Nous prenons le cinéma trop au sérieux pour ne pas en rire, parfois de ce rire douloureusement salvateur et pour tout dire quasi-mystique que Bataille évoqua souvent ( whoa la classe, eh, les références... Faudra vous y faire, j'aime autant les citations que les parenthèses, c'est pour vous dire si vous n'avez pas fini de pester sur mes labyrinthiques et interminables amas de propositions au déploiement rizhomatique. Heureusement, Bonnie sera là pour vous apaiser les yeux et le cervelet de ses courbes harmonieuses et ses couleurs chatoyantes. Enfin je parle de ses dessins, hein, les gars, rêvez pas).


Alors TOI, là. TOI.


Tu sors.


...


Voilà.


On est entre nous maintenant, on va pouvoir parler de cinéma. Parler DE cinéma. Parler DE FILMS.

Parler cinéma ne nous intéresse pas. Déployer les signes factices de notre appartenance au cénacle croupissant de ceux « qui s'y connaissent et qui sont bien informés », fouiller les décharges à ragots de la jet-set, jouer les oracles ou les donneurs de leçons non plus.

Nous jugerons, oui. Mais pas d'un jugement suprême, pas le jugement dernier. Juste notre jugement, une goutte d'eau dans la mer certes, mais pleine de sel.

Simplement évaluer ce qui a eu lieu pendant notre rencontre avec ce film, et exercer notre libre-arbitre.


Et parler de cinéma.


BONNIE & CLYDE

Publicité
Publicité
Publicité